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Pourquoi parle-t-on de téléphone arabe ?

Cette expression est couramment utilisée depuis le 20ème siècle pour désigner familièrement la transmission rapide de nouvelles de bouche à oreille, les informations étant alors le plus souvent déformées ou amplifiées.

Le mot « téléphone » exprime l’idée de l’extrême rapidité de la transmission de l’information entre les personnes. Il s’agit également, avec un peu d’ironie, de montrer que même sans moyens de communications évolués, une information peut parfaitement se propager rapidement. Le mot « arabe » est à replacer dans le contexte plutôt raciste et dominateur de la France colonisatrice du 20ème siècle, qui considérait que les pays nord-africains étaient ceux où les rumeurs se diffusaient le plus facilement, malgré le manque de moyens de communication élaborés. On a aussi employé l’expression « téléphone de brousse », qui fait cette fois référence à l’Afrique noire où le même genre de transmission orale rapide existe.

Par déformation, le téléphone arabe est devenu un jeu de société, consistant  faire circuler rapidement à travers une file de joueurs une phrase inventée par le premier d’entre eux, puis récitée à voix haute par le dernier.  L’intérêt du jeu est de comparer la version finale de la phrase à sa version initiale. En effet, avec les éventuelles erreurs d’articulation, de prononciation, les confusions entre des mots et des sons, la phrase finale peut être tout à fait différente de la phrase initiale. L’intérêt du jeu croît avec le nombre de joueurs et la complexité du message à échanger. Le record du monde du plus grand téléphone arabe a été réalisé par l’artiste américainMac King le 6 janvier 2004 au Harrah’s Las Vegas Casino et a impliqué 614 personnes.

Pourquoi dit-on OK ?

Ok est une expression anglaise abrégée, qui s’est développée après la Seconde Guerre Mondiale dans la totalité des pays du monde. On peut parfois trouver une seconde orthographe,  « okay ». Les étymologies supposées de ce mot sont nombreuses.

Tout d’abord, ce serait l’opposé de « KO » (Knocked Out). Une autre version voudrait que, durant la guerre de Sécession, les Sudistes annonçant le nombre de morts après chaque bataille, écrivaient 121 k., pour 121 killed, soit 121 morts. Lorsqu’il n’y avait pas eu de morts, cela donnait 0 k., tout était donc ok…

Une anecdote amusant voudrait que ce mot soit né d’une rencontre entre La Fayette et Georges Washington : le général français, soudain pris de hoquet, aurait été forcé de se détourner de son homologue britannique par politesse, tout en lui expliquant de ne pas s’en faire, « Tout va bien, j’ai seulement le hoquet. » Washington en aurait déduit que lorsque tout allait bien, cela signifiait que tout était « ok », et de cette méprise serait née l’expression.

Cependant, malgré les étymologies plus ou moins fantaisistes énoncées ci-dessus, il faut dire que l’origine de ce mot ne fait plus débat. La première occurrence attestée date de 1839 dans le Boston Morning Post comme abréviation de « Oll Korrect », altération graphique de all correct, version familière de l’époque du all right (tout est bien, tout va bien) britannique. En 1840, le terme a été utilisé par des partisans de Martin Van Buren, élu à la présidence des États-Unis en 1837, et surnommé Old Kinderhook (le vieux de Kinderhook) du nom de son village natal. Un club de soutien s’est créé à New York sous l’appellation de « O. K. Club » (23 mars 1840). L’histoire de ce terme a fait l’objet d’une publication de A. W. Read dans The Saturday Review of Literature du 10 juin 1941, et n’est contestée par aucun spécialiste.

Pourquoi dit-on « prendre son pied » ?

Il a fallu attendre 1968 et la révolution sexuelle pour que cette expression argotique devienne populaire et employée couramment dans la langue française. Au début du 19ème, elle appartient au vocabulaire des pirates et voleurs à la tire. Au moment de partager le butin, des piles sont formées sur la table, et chacun prend son revenu, compté en taille de pile, dont l’unité de mesure était le pied. Chaque bandit prenait donc son « pied », et s’empressait de la dépenser de manière « agréable », c’est-à-dire avec des prostituées. « Pied  » est donc, dans cette expression, utilisé en référence à l’ancienne unité de mesure et non au sens anatomique. L’expression argotique connaît une variante équivalente, qui serait « prendre son fade ».

Au tournant du 20ème siècle, l’expression passe chez les prostituées pour signifier une femme ( et seulement une femme) qui « en a pour son compte » dans la relation sexuelle. L’expression est ensuite étendue aux deux sexes, et utilisée pour désigner la jouissance lors de la relation sexuelle. Elle s’étend ensuite à tous les types de bonheur et de jouissances terrestres. On peut désormais « prendre son pied » en faisant quelque chose d’agréable qui peut n’avoir aucun rapport avec le sexe.

Pourquoi la phrase « Portez ce vieux whisky au juge blond qui fume » est- elle célèbre ?

Il s’agit en fait d’un pangramme : cette phrase contient toutes les lettres de l’alphabet. Pangramme vient du grec « pan », toutes, et « gramma », lettre. Le pangramme est à l’origine conçu pour tester les machines à écrire, ou les fontes de caractères en typographie. Cependant, il s’est développé comme un jeu littéraire, où le talent consiste à écrire une phrase cohérente, la plus courte possible, en évitant les sigles, abréviations ou lettres solitaires.

« Portez ce vieux whisky au juge blond qui fume » est le pangramme le plus célèbre et probablement le mieux réussi, car, en plus d’être une courte phrase cohérente, chacune des consonnes n’est répétée qu’une seule fois. De plus, les connaisseurs pourront apprécier ici l’alexandrin…

Dans La Disparition, Georges Pérec conçoit un pangramme, dont la lettre « e » est exclue (on parle de lipogramme lorsqu’une lettre de l’alphabet n’est pas utilisée). Cette alliance entre pangramme et lipogramme donne la phrase suivante : « Portons dix bons whiskys à l’avocat goujat qui fumait au zoo. »

Certains se sont également riqués à faire des pangrammes en incluant aux 26 lettres de l’alphabet les lettres accentuées, ce qui fait monter le total à 42 signes. On pourra apprécier : « Portez ce vieux whisky au juge blond qui fume sur son île intérieure, à côté de l’alcôve ovoïde, où les bûches se consument dans l’âtre, ce qui lui permet de penser à la cænogenèse de l’être dont il est question dans la cause ambiguë entendue à Moÿ, dans un capharnaüm qui, pense-t-il, diminue çà et là la qualité de son œuvre. »

On peut noter qu’il existe des pangrammes également dans les autres langues. En anglais, cela donne : « The quick brown fox jumps over the lazy dog ». En allemand, ça sera : « Zwölf große Boxkämpfer jagen Viktor quer über den Sylter Deich. » Et en italien : « Quel vituperabile xenofobo zelante assaggia il whisky ed esclama : alleluja! »

Pourquoi « amour », « délice » et « orgue » sont-ils liés?

Amour, délice et orgue sont les trois seuls mots de la langue française à changer de genre en changeant de nombre. Ils sont donc masculins au singulier, et féminins au pluriel. On parlera ainsi du « parfait amour », mais « d’amours incestueuses », d’un « délice inconnu » mais de « délices infinies », d’un « orgue merveilleux » mais de « grandes orgues ». Si les accords sont en général respectés en ce qui concerne les mots « amour » et « orgue », en revanche, la règle qui s’applique à l’origine également à « délice » est de moins en moins usitée.

Georges Courteline expliquait qu’il fallait dire « cet orgue est le plus beau des plus belles », sous peine de « parler sa langue comme un cochon ».

Pourquoi ça va pas durer 107 ans?

Pourquoi 107?? Ce n’est pas la durée de la Guerre de 100 ans, comme on le dit souvent (elle a en fait duré 116 ans). Il s’agit en fait du temps de construction de la cathédrale Notre Dame de Paris, sur l’Ile de la Cité.  Il n’était pas rare à l’époque de voir la construction d’une cathédrale s’étendre sur plusieurs siècles (la cathédrale Notre Dame d’Amiens, la plus grande de France, a vu sa première pierre posé en 1220, pour une clotûre finale de l’édifice en 1519). Cependant, la présence de cet énorme chantier en plein coeur de Paris a paru aux habitants de la capitale anormalement long, et de cette lassitude est née l’expression « ça va pas durer 107 ans ».

On peut noter que le fait que la construction de la cathédrale ait duré 107 ans est justement ce qui fait l’originalité de l’architecture de l’édifice, qui mêle en façade un style gothique primitif (ce qui a été érigé au début de la seconde moitié du 12e siècle) à un style gothique rayonnant, qui date du 13e siècle, et qui est repérable grâce à la présence dans le choeur d’arcs boutants très élancés typiques de la période.